Être manager de proximité et conduire le changement. Est-ce deux réalités conciliables ?
Être manager de proximité et conduire le changement. Est-ce deux réalités conciliables ?
Très souvent, on parle du « manager » comme d’un leader capable de mettre en mouvement son équipe et de conduire le changement ? Cette conception est-elle valable pour le « manager de proximité », celui que Fritz Roethlisberger qualifiait déjà en 1976 comme « l’Homme du milieu, pris entre deux feux », et que la littérature managériale abondante définit comme celui qui est pris « entre le marteau et l’enclume », celui qui, par définition, se situe entre « ceux qui produisent » et « ceux qui décident » …
Sa place dans l’organisation, quel que soit l’angle d’approche choisi et le périmètre retenu, en fait un élément incontournable au sens strict, c’est-à-dire qu’on ne peut pas « contourner ». Difficile de faire « sans ». En fonction du niveau de maturité de la ligne managériale, de la culture de l’entreprise, du contexte Business et des enjeux RH, ces managers de premier plan seront, tour à tour, des leaders opérationnels impulsant le changement ou des « irrésistibles gaulois » qui freineront l’avancée du projet… Comment faire pour garantir leur engagement dans le changement ? Quels sont les facteurs-clés de succès ?
Une autre question peut se poser : quel est leur véritable rôle, ou devrais-je dire, quel rôle leur laisse-t-on ? En effet, très souvent, ils sont informés des changements à mener en aval de la décision (et non en amont). Ils doivent alors comprendre les enjeux, saisir le Sens (dans ces 2 acceptions : Pourquoi décide-t-on de faire ça ? Où va-t-on ?), adhérer aux nouvelles modalités… sans pour autant avoir été impliqués. Conduire le changement nécessite-t-il d’adhérer pleinement au projet d’entreprise défini ? Doit-on être « convaincu à 200% » pour tenir le rôle de meneur et/ou de capitaine ? Heureusement que non ! Sinon, il n’y aurait plus beaucoup de managers dans nos organisations et/ou de changements réussis … :- ) Comment faire alors ?
Comment trouver l’équilibre, afin d’initier une dynamique de transformation positive et durable ?
Cette « boucle vertueuse » repose sur la nécessité de repenser la raison d’être, les missions et les moyens du management intermédiaire, avec l’ambition de revaloriser son positionnement. Bien plus que leur motivation, bien plus que leur implication, c’est la question de leur engagement qui est centrale. La réussite d’une transformation, qu’il s’agisse « seulement » d’un changement d’ERP ou de modification d’organisation, ou qu’il s’agisse d’un profond redéploiement stratégique, dépendra, pour une part significative, de la qualité de la mise en œuvre opérationnelle, impliquant de fait l’engagement des managers de proximité.
Les 5 décisions gagnantes à prendre par un Dirigeant / DRH afin de maximiser l’engagement des managers de proximité dans la conduite du changement
#1 Prendre le temps d’expliquer le « nouveau projet » au management intermédiaire, en prenant soin de le relier aux enjeux Business et à leurs impacts sur les pratiques managériales et ressources humaines au quotidien
L’idée est de donner de la profondeur au projet d’entreprise, développer la question du Sens, expliquer en quoi cette approche est différente et stratégique pour l’entreprise… Cela passe aussi par l’accueil des émotions des managers. Cette dimension « affect » est essentielle, car elle constituera, soit le frein, soit le moteur du processus de changement. Mettre du Sens et donner un Cap. Avec humilité et bienveillance. Plus que la définition et la mise en œuvre d’un plan de communication Top-Down, plus que la création d’outils de remontée d’information Bottom-Up, l’idée est vraiment d’oser créer des espaces de dialogue et d’échange pour susciter l’adhésion. Les Dirigeants ont souvent l’impression que c’est perdre du temps, et les managers ont « peur d’ouvrir la boite de Pandore »… Il s’agit pourtant d’une décision gagnante !
#2 Associer et impliquer le management intermédiaire, non pas dans la phase de définition / formalisation de la vision / plan d’action, mais dans sa phase de déploiement / mise en œuvre
La plupart du temps, pour des raisons compréhensibles d’efficacité et de confidentialité, la définition des nouvelles orientations stratégiques et/ou des organisations-cibles, par exemple, échappe au management intermédiaire. Cette réalité est en soi handicapante pour le bon déploiement du processus de changement. En effet, aimez-vous que l’on vous impose quelque chose ? En particulier, quand cela vient impacter votre travail au quotidien, quand cela vient bousculer vos « petites habitudes » ? A fortiori, si cela émane de ceux que l’on appelle le « Board » (« C’est quoi cette bête-là ? »)… Tout l’enjeu est donc de redonner des marges de manœuvre au Middle Management, afin de lui faciliter l’appropriation du projet. La transparence et l’authenticité sera de rigueur. L’objectif est de « vraiment » leur proposer un espace de création, de construction, de liberté sur un terrain bien défini : celui du Comment.
#3 Développer les compétences d’« accompagnant » du management intermédiaire
Dans une période de conduite du changement, le manager de proximité devra davantage solliciter ce qu’on appelle ses Soft-Skills (écoute, empathie, créativité, adaptabilité …). Exit un rôle centré sur le contrôle du travail, la mesure des résultats… etc… Sa mission évolue et s’apparenterait plus à celle d’un « Coach », dans le bon sens du terme. Il me semble donc essentiel de travailler en amont du déploiement, dans la phase de préparation du projet, au développement de ces nouvelles compétences de Savoir-Etre.
#4 Positionner le management intermédiaire comme un acteur stratégique dans le processus de changement
Le regard porté par la Direction sur le management intermédiaire est fondamental : il est important de revaloriser la fonction. Pourquoi parler de « revalorisation » ? J’ai pu très souvent observer une charge émotionnelle forte et ambivalente : d’un côté, le sentiment de fierté, d’appartenance aux équipes dirigeantes, de réalisation ; de l’autre côté, un sentiment d’impuissance, de manque de respect, d’inutilité… Le management de proximité, s’il veut pleinement jouer son rôle de « courroie de transmission », de facilitateur et leader, doit se sentir soutenu et « accompagné ». Le « management par la Peur » (« Tu risques ton Job ! »), le « management par le stress » (« Plus vite, plus fort, plus loin ! »), le « management laxiste » (« Démerdes-toi, mais je veux du résultat ! »)… ne sont pas des attitudes gagnantes.
#5 Créer les conditions d’une communication ascendante et descendante efficace et parfaitement adaptée au management intermédiaire
Accompagner des mutations, qui posent des problèmes d’ordre technique, humain… nécessite d’avoir un système de communication parfaitement « huilé ». L’information doit pouvoir circuler rapidement, avec peu de déperdition quant à son contenu ; les acteurs doivent faire preuve de discernement par rapport à l’information à relayer ; des process doivent permettre la sécurisation de la circulation de l’information, qui ne doit pas être exclusivement dépendante des personnes… Et surtout, cette communication doit apporter des bénéfices. Pour cela, les outils proposés doivent être parfaitement adaptés aux « us et coutumes » du management de proximité.
Les 3 points de vigilance
#1 Attention à la surexposition des managers
Comme un athlète de haut-niveau, le manager a besoin de « souffler ». Une exposition trop longue et/ou trop intense, sans avoir aménagé de moments de repos, risquerait d’être contre-productive : pour le salarié avec des risques réels de burn-out …, pour les équipes avec des risques de conflits …, et pour l’entreprise avec une « boucle vertueuse » qui mue en « cercle vicieux ».
Conseil : En phase de changements majeurs, mettre en place un suivi spécifique de cette population, pilotée par le N+1 et par le RRH, et envisager des « mobilités internes temporaires tournantes », comme des moments de respiration.
#2 Attention à ne pas minimiser l’ampleur des changements et leurs impacts
Malgré tous les efforts qui sont fait, en matière d’études d’impact et de prédiction, il reste très difficile de vraiment identifier et mesurer les conséquences des changements menés, qu’ils soient d’origine interne ou externe. La tentation, en raison d’arbitrages budgétaires, d’une volonté de la Direction (parfois à juste titre) de mener une exécution rapide, de contraintes techniques et/ou commerciales, est parfois de « minimiser » les ruptures en cours, car perçues comme « anecdotiques » vues « d’en-haut ». Ce décalage est aussi vrai entre un Chef d’équipe / de Service et un Directeur de site qu’entre un Siège et une Usine… Bien que nous sommes tentés de mettre de la rationalité dans les résolutions de problèmes (et c’est très souvent positifs et nécessaires), se focalisant sur le « changement réel » et non sur le « changement perçu », débloquer une situation, apaiser des tensions, (re)mettre en mouvement une équipe … passe souvent par la prise en compte de la dimension émotionnelle, et donc, le « changement perçu ».
Conseil : Développer une approche bienveillante mais exigeante, dans toutes les phases du changement. Comprendre quels résultats obtenus « au forceps » ne sont pas durables et que traiter les « irritants » n’est pas synonyme de « temps perdu ».
#3 Attention à ne pas oublier de sensibiliser / former / accompagner leur N+1
La cohésion de l’ensemble de la ligne managériale est un facteur-clé de succès d’un changement réussi. Pour ce faire, il est très important de « renforcer l’alliance naturelle » entre les Top Managers et leur Middle Management. Dans un contexte où le mouvement est devenu la règle et la stabilité l’exception, dans un environnement de plus en plus exigeant et versatile, où il faut aller vite, être agile, faire toujours plus avec moins … , les mises sous tensions sont fréquentes, et cette alliance n’a jamais été aussi précaire. C’est d’autant plus vrai quand on observe un turn-over souvent différent chez ces deux populations : il y a « ceux qui sont tombés dans la marmite depuis longtemps » et les Tops Managers « de passage ».
Conseil : Renforcer le travail d’équipe en inscrivant le Top Management dans la durée (« Je suis propriétaire du processus de changement de A à Z ») et en fixant des critères de réussite, certes basés sur des indicateurs financiers, techniques … mais aussi sur des fondements plus « soft », liés au Savoir-Etre, au Bien-Etre des collaborateurs …